De Christophe Colomb à Nicolas Machiavel, le milieu du xve siècle a vu naître des personnalités unanimement reconnues comme ayant hâté l’avènement de la modernité par leurs idées, leurs projets ou leurs actes. Mathias (Ier) Corvin, né en 1443, roi de Hongrie (1458−1490) et de Bohême (à partir de 1469), est de ceux-là. Il a marqué l’Europe centrale de son sceau, quelques décennies seulement avant la reconfiguration générale qui suivit l’expansion maximale des Turcs sur le vieux continent et permit la domination des Habsbourg. Issu d’une lignée venue de Roumanie, il échafauda un ensemble territorial débordant largement du bassin carpatique. Grâce à ses talents diplomatiques, à la redoutable « Armée noire » (où s’illustrèrent les premiers hussards), il dompta « Dracula » (Vlad l’Empaleur) et refoula l’agresseur ottoman dans les Balkans, pendant qu’à l’ouest et au nord, il s’emparait de la Moravie (tchèque), de la Silésie (polonaise), de la Lusace (allemande) et enfin de la Basse-Autriche, où il s’éteignit. Porté sur le trône de saint Étienne par la gloire qui auréolait Jean de Hunyad – champion de la Chrétienté vainqueur des Turcs à Belgrade (1456) –, Mathias n’avait pas de sang royal. Mais il aurait très bien pu servir de modèle à l’auteur du Prince par ses méthodes de gouvernement. Il se rapproche aussi de Laurent le Magnifique par son engagement en faveur des arts, qui en fait le passeur de la Renaissance italienne au nord des Alpes. Si la renommée de Mathias Corvin n’est pas usurpée, elle ne saurait masquer ses erreurs. Grevés d’impôts, ses sujets lui reprochaient de sacrifier leur bien-être sur l’autel de ses ambitions extérieures. Lui prétendait consolider le royaume face au géant turc. Le remède ne fut-il pas pire que le mal ? Toujours est-il qu’après sa mort, l’édifice s’effondra tel un château de cartes en moins d’une génération.