Le parcours d’analyse que je propose se base pour l’essentiel sur des matériaux issus de proverbes, de dictons, de maximes, d’adages, de devinettes et de chants populaires, en somme des savoirs langagiers, donc cognitifs, du peuple pour conduire à l’interprétation anthropologique du savoir national vietnamien. Certains chercheurs objecteront que ces matériaux ne répondent peut-être pas aux normes (nobles) académiques ou universitaires. Je reste pourtant persuadé du contraire. Ce monde cognitif populaire a sa propre grâce, c’est à l’anthropologue d’en découvrir la logique, le mécanisme en livrant – plus que des preuves – le sens singulier de cette « noblesse populaire ». Par exemple, ce chant populaire qui évoque le sort injuste et tragique des femmes, dont la vie est confiée au hasard, dans cet univers culturel vietnamien dominé par les hommes : Mon corps de femme comme un puits au carrefour des chemins le sage s’y lave le visage, le vulgaire s’y lave les pieds. Or, entre le sage (le savant) et le vulgaire (le médiocre), le choix se trouve non seulement dans les attitudes mais surtout dans les aptitudes, l’intelligence du jugement de l’un décidera de l’issue (heureuse) du karma de l’autre. Métaphoriquement ou réellement, cet exemple justifie à sa façon le choix des outils et du cadre d’analyse de cet ouvrage. De surcroît, ces matériaux populaires ont montré leur efficacité tout au long de l’histoire du Vietnam. Toujours à la hauteur de la culture dite savante, le savoir véhiculé par les proverbes a inspiré par ses hauteurs de vue les oeuvres majeures des lettrés-sages et plus récemment celles des artistes nationaux. Leur intérêt et leur admiration pour ce savoir populaire dont ils louent l’intelligence sont manifestes dans leur création où on retrouve des jeux discursifs complexes, des finesses d’analyses étrangement argumentés qui s’enracinent dans les profondeurs de ce monde cognitif encore trop peu exploré. Car l’intelligence de la culture savante sait aussi se reposer en paix sur le socle du savoir populaire, la délicatesse de l’enseignement le plus sage se cache souvent dans les chants du peuple.