Les Antilles tiennent dans l’imaginaire des officiers de marine de la IIIe République une place à part ; escale traditionnelle de l’école d’application des enseignes de vaisseau de la Marine française, elles sont, dans la mythologie navale, « le paradis des midships ». Paradoxalement, cette place de choix dans les imaginaires est inversement proportionnelle à leur importance stratégique. En raison de la situation de ce théâtre d’opération, au cœur de la mer des Caraïbes sur laquelle les Américains n’entendent pas voir leur autorité disputée, les forces navales françaises y sont en effet réduites à une fonction essentiellement symbolique. À la déclaration de guerre, le théâtre des opérations des Antilles est placé sous le commandement d’un brillant marin, l’amiral Robert. Fin connaisseur du monde anglo-saxon, il est de surcroît nommé haut commissaire de la République aux Antilles et en Guyane, donc avec des pouvoirs politiques considérables qui empiètent sur ceux des gouverneurs. Partisan forcené du nouveau régime, il fait appliquer dans toute leur rigueur les directives de Vichy. La Marine sort de son rôle militaire pour endosser des fonctions dévolues à l’administration coloniale, renvoyant à la fameuse « marée bleue », cette pénétration par les officiers de marine de l’appareil gouvernemental et administratif du régime pétainiste. Aux Antilles, cette situation a conduit à de nombreuses dérives.