Le Moyen Age constitue depuis le XVIIIe siècle un enjeu majeur de notre culture et de notre histoire. Pour les Philosophes du XVIIIe siècle, il représente une période de fer, un trou noir de la civilisation occidentale plongée dans les ténèbres de la barbarie, qui n’est sortie de l’obscurantisme que par la double rupture de la Renaissance et de la Réforme. Ces sombres images ont néanmoins fasciné les créateurs romantiques, qui, tout en détestant ses aspects les plus terrifiants – la croisade et les bûchers de l’Inquisition en Languedoc – ont proclamé, avec Victor Hugo et Michelet, que cette période correspond à l’enfance de notre nationalité et célébré sur tous les tons ses aspects les plus truculents : la fête des fous, la Cour des miracles, la démesure de l’homme médiéval déchiré entre l’ange et la bête, la chair et l’esprit, la terre et le ciel. Le Moyen Age a également déchaîné aux XIXe et XXe siècles passions politiques et religieuses. Pour les nostalgiques de la monarchie et de la Chrétienté, il incarne un fabuleux âge d’or, où il faisait bon vivre sous le gouvernement paternel des moines et des rois, pour les républicains il représente une funeste période dominée, depuis le baptême de Clovis, par la sainte alliance du trône et de l’autel. Néanmoins la gauche s’échine au XIXe siècle à exhumer du plus lointain passé médiéval des événements annonciateurs de la rupture libératrice de 1789 : le mouvement communal au XIIe siècle et la révolution d’Etienne Marcel en 1358, qualifié de Danton du XIVe siècle ! Bon gré, mal gré, la bannière de Jeanne d’Arc et la trogne populaire de Duguesclin, ces deux héros de la Patrie, parviennent à rassembler dévots de Marianne et enfants de Marie. Or, ce sont ces épiques batailles de mémoire autour du Moyen Age que raconte ce livre plein de bruit et de fureur. En effet, en France, probablement plus qu’ailleurs, le Moyen Age, cette époque fondatrice de notre identité nationale, dure particulièrement longtemps.
De Grégoire de Tours à Georges Duby
(2004)